L’expérience ArchiMed ou les coulisses d’une interdisciplinarité intégrée
Les couples conceptuels manipuler / lire, quantitatif / qualitatif, temporalité du soin / temporalité de la lecture et de la recherche, cristallisent autant de potentielles oppositions qu’ArchiMed relève le défi de regarder avec complémentarité, au cœur d’une riche rencontre interdisciplinaire.
La production d’un « proof of concept » occupe une place centrale parmi les objectifs du projet ArchiMed. En plus d’être exigeante, la réalisation d’une telle mission se définit et se découvre en même temps qu’elle chemine et qu’elle se construit, impliquant un questionnement et des repositionnements constamment actualisés. Plonger dans les coulisses et le quotidien du projet, c’est l’expérience parfois déroutante, mais aussi passionnante, d’un ébranlement (inter)disciplinaire qui exige de ses chercheur·euses une ouverture d’esprit particulière et une mobilité tant méthodologique que conceptuelle.
Le format du projet inclut des sessions régulières d’un à trois jours d’ateliers-présentations-discussions. Ces rencontres permettent de faire le point sur l’avancée du projet, de s’informer les uns les autres et de croiser les axes de travail (génétique, histopathologie, clinique, histoire, bionumérique). Elles sont aussi l’occasion de tester et parfois de mettre à l’épreuve les points de rencontre possibles entre les disciplines, ainsi que les méthodes de travail, formalisant une interdisciplinarité que l’on peut qualifier d’intégrée dans la mesure où ces croisements participent concrètement au fondement de la recherche et à sa progression.
Ces mises en commun ont déjà souligné que le partage des données et des questionnements (un point souvent sensible dans la recherche scientifique en général) peut représenter une valeur ressource très productive. Notre dernier atelier estival a par exemple montré que ce qui apparaît comme le principe méthodologique routinier d’une discipline peut s’avérer utile pour la réflexion des autres champs. La cartographie des sources à disposition, nécessaire à la contextualisation de la réflexion historique, a permis de pointer des documents qui contiennent des informations potentiellement précieuses pour l’histopathologie, tandis que l’histopathologie a fourni à l’histoire des pistes de recherche inédites via les données contenues en creux de ses objets.
Sans compter la curiosité, l’humilité et l’autoréflexivité dont chacun doit faire preuve pour assurer un bon ancrage de l’interdisciplinarité au sein des objets de recherche, notre groupe travaille donc avec un certain nombre de points de vigilance particuliers. Désormais éprouvés, ces derniers font l’objet d’une mutualisation régulière. Il en va ainsi de la question du vocabulaire employé, car un même terme (« artefact », par exemple) peut adopter un sens différent selon qu’il est utilisé en sciences humaines ou en sciences exactes. Certains outils de recherche sont centralisés, amenant beaucoup de questions pour les champs qui se calquent sur des outils programmés pour répondre aux nécessités d’un autre type d’usage ; une base de données commune a été personnalisée pour ArchiMed et ses différents axes disciplinaires à partir d’un outil habituellement employé uniquement par les institutions hospitalières. Les ressources documentaires cumulées (des sources papiers, publiées et manuscrites, aux pièces anatomiques et au matériel de laboratoire historique) offrent un éventail de données de nature diverse, démultipliant des paramètres qu’il convient d’articuler. Enfin, certains conceptspeuvent être mis en résonance (parmi d’autres, les notions de médecine narrative en clinique ou encore celles de séquençage, de patient hôte et de phylogénie en génétique) en les transposant d’un domaine à l’autre ou en changeant d’échelle, à condition de les repérer, puis de réussir à penser et à formuler un dialogue convaincant.
Tout en intégrant quotidiennement ces points d’ancrage à la réflexion, l’un des prochains défis de l’équipe est de trouver les voies qui permettront de formaliser ces nombreuses rencontres, toujours dans l’échange.
